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L'histoire du bâtiment


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Le Temps Retrouvé

par Pierre Jean Gayard

 

L’Hôtel de Poitevin (1626)

 

Le terrain où s'élève ce petit hôtel particulier avait appartenu au Juge du Sénéchal Jean Baud, puis à Jean de Pontevés, comte de Carcès (celui des guerres de Religion) qui le vendit à Victor Durand, homme de Loi, en 1542. Ce dernier fut député de la ville pour le traité d’union de la Provence à la France (1487) et fut syndic en 1492. Il fut jalousé, mais non dépourvu de réplique. Il avait été traité de  “banni de Grasse” (sa ville d’origine) et de « juif » (“s’appelavo Cayn … de jubetaria”) : il obtint réparation. Les syndics l’accusèrent d’avoir fait perdre des droits de pâturage à la ville face à Louis de Villeneuve-Trans : ils en furent pour leurs frais (100 écus). Durand fut chansonné. Mais les moqueurs déchantérent vite : excommuniés, ils durent payer le monitoire de la censure ecclésiastique (mandement de l’Official). Les Villeneuve étaient des familiers de la maison où ils passèrent divers actes (en 1514, “sur le pas de la porte” ou “dans la chambre du jardin”).

Rue G. Cisson, N°13. Hotel de Poitevin (1626). Façade : premier niveau traditionnel en pierre de taille souligné par une corniche.

Porte : inscrite dans une travée corinthienne couronnée par un fronton triangulaire brisé. Au sommet des pilastres : petites têtes léonines.

Après les Richard-Gap, la maison échut à Honoré de Dominicy, Lieutenant en chef du Siège (1572-98), ligueur, qui eut 1e “triste honneur” de recevoir ici un étranger appelé par la Ligue : 1e duc de Savoie. Dominicy fit au duc une harangue flatteuse, alors que la ville de Fayence l’avait reçu avec ironie ( : un notaire et une troupe d’enfants montés sur des échasses, lui remettant une couronne de papier). Honoré de Dominicy fut remplacé à son poste et dans la maison par son gendre, Honoré de Poitevin, sr. de Mallemoisson. Voulait-il que son prénom soit pris à la lettre ?  M. de Poitevin ne plaisantait pas avec les honneurs dus à son rang de Lieutenant en chef. II poursuivit Guilhon d’Allons, Melchior Brun et d’autres pour irrévérence et les fit condamner  “eux et tous autres (à) le saluer et le révérer à payne de 1 000 livres”.

 

Le fils et successeur d'Honoré au Siège, Charles de Poitevin, construisit la maison actuelle pour sa jeune femme, Madeleine de Périer, à l'image des hôtels aixois, en 1626. Les de Poitevin “reçurent” beaucoup (l'Intendant, le Gouverneur, le Lieutenant général...) et Charles mourût, ruiné, dix ans plus tard. La maison était devenue le lieu officiel de réception des gouverneurs en visite. Elle était animée du mouvement des affaires, du va-et-vient des solliciteurs et des assemblées. « Chez le Lieutenant », pre­mier officier du Siège, c'était aussi l'éclat des fêtes et les galas somptueux, écrit Mireur.

En 1634, pour la réception du marquis de Saint-Chamond, Lieutenant général, des arcs de triomphe furent dressés à la Porte Saint-François (extrémité de la rue) et la façade de la maison, ornée de tableaux allégoriques. La ville offrit pour la table du marquis : 2 moutons gras, 5 paires de pigeonnaux, 5 coqs d'Inde de Montferrat, 30 livres de truites de Trans, des pâtes de Gènes, des cardons, des andives, un fromage d'Auvergne de 21 livres, 100 “beaux oranges”, des confitures, des cannelas ... et « 3 tartes grandes, y ayant à l'une les armes du Roy, à l'aultre celles de Monseigneur et à la troisième les armes de la ville, surdorées et argentées, couvertes de la drague (dragon), colorées et musquées ». Le sanglier de Roquebrune, arrivé trop tard, fut servi à l'étape du Luc. François-Drac de Poitevin, “filleul de la ville”, Lieutenant prin­cipal lui aussi, après 1636, offrit l'hospitalité au comte d'Alais, gouverneur (5 fois), au duc de Mercœur, futur cardinal de Vendôme, en 1652, et au comte de Carcès en 53. Il décéda jeune et, lui aussi, ruiné.

Vaste vestibule carrelé en damier. Escalier tournant suspendu.

Façades. Sur le devant : l'étage-attique et l'avant-toit souligné par une frise. Sur le côté (rue du Combat) une génoise, plus rustique. Dans l'angle, une tête léonine rugissante, prise dans un disgracieux réseau technique de nôtre époque.

La maison se fit plus discrète avec les occupants suivants. Elle fut achetée en 1676 par Antoine Brun, sr. de Boades, conseiller au Siège. Son fils ainé, Esprit-Emmanuel de Brun-Boades, siégea au Parlement d'Aix en 1711. Ce poste fut repris par le fils de celui-ci, Joseph-François de Brun, conseiller à la Cour en 1746. Comme M. de Poitevin un siècle plus tôt, M. de Brun ne transigeait pas sur l'obligation du salut dans la rue. Son voisin, le Lieutenant général Honoré-Emmanuel de Raimondis l'apprit à ses dépens. Deux des frères du fier Joseph-François, tous nés ici, furent offi­ciers de marine, dont Jean, comte de Boades qui fut chef d'escadre à Toulon en 1784.

L'hôtel échut, après 1724, à Pierre-Jean Perrot du Bourguet, seigneur de Borigaille. Devenu vœuf et septuagénaire, l'infortuné Perrot, qui vivait seul avec sa fille et deux femmes de chambre, fut, par une sombre nuit de Novembre 1765, trouvé égorgé dans sa chambre (« la tête ne tenait que par la peau du derrière »), et délesté de 60 livres, bien que les portes de la maison soient restées verrouillées. Tout désignait comme auteur du crime Joseph Hugou-Lange, dit « le Napolitain » ou « le balafré ». « Mais la Justice, écrit Mireur, s'arréta devant certaines considérations de famille (Hugou-Lange, famille consulaire) qui désarmèrent même les généreux héritiers de la victime ». Antoine-Joseph Perrot, officier de marine comme ses oncles Brun, se retira ici en 1789, fit restaurer la maison et fut délégué de la Noblesse aux Etats généraux.


Devenue quelques temps une hôtellerie, la maison échut à Joseph Bernard, commer­çant, ancien imprimeur, devenu maire en 1848. La porte conserve ses initiales dans un écusson de pierre taillée, placé au centre du fronton brisé triangulaire.

LES DATES

1626

Hôtel de Poitevin

Seigneur de Borigaille

1848

Joseph Bernard

DRAGUIGNAN

Rue George Cisson

L'histoire continue